Chroniques du pays des mères - Elisabeth Vonarburg
Par Yume le mercredi 14 mars 2012, 15:20 - SF - Lien permanent
Le pays des Mères est une Terre dévastée, suite à un cataclysme provoqué par les hommes et qui les a pratiquement éradiqués. De nombreux territoires restent pollués et inhabitables. Cette catastrophe a également eu des conséquence sur l’espèce humaine, puisqu'il naît plus de filles que de garçons. Le Pays des Mères est donc une organisation très féminisée. Le pays est divisé en familles, dans lesquelles une femme représente l'autorité : la Mère. Lisbeï est la première fille de la Mère de Béthély et en tant que telle, elle est vouée à lui succéder en tant que Mère. Mais en grandissant, celle-ci se révèle stérile, et ne peut donc pas lui succéder. C'est sa sœur Tula, avec qui elle partage un lien très fort, qui va prendre sa place. Son avenir balayé, elle doit donc quitter Béthély, et Tula. Passionnée par l'histoire, elle devient exploratrice, et fouille les lieux vestiges du passé. Ses découvertes vont remettre beaucoup de choses en question, et elle va devoir se battre pour essayer de les faire accepter...
Ce livre était la lecture commune du Cercle d'Atuan pour le mois de janvier, mais j'avais un programme trop chargé pour participer. Mais j'en ai lu tellement de bonnes choses (et les messages subliminaux de Vert y sont aussi sûrement pour quelque chose ^^), que je l'ai acheté, et lu après les autres membres.
Et j'ai adoré ma lecture ! Mais tout en lisant, je me demandais "comment je vais chroniquer ça?" (la question est surtout, en combien de temps? xD au moins 2 heures !). C'est un livre vraiment dense, sur le plan du fond comme de la forme ! Je vais essayer de décrire mes impressions de lecture mais elles ne seront sûrement pas à la hauteur.
La narration est très particulière. On a le récit de Lisbeï à la troisième personne, intercalé de lettres et d'extraits de journal personnel. Cela nous permet d'apprendre beaucoup de choses en parallèle du récit, puisqu'il permet de revenir sur des évènements passés, sur les impressions et le réflexions que Lisbeï ne confie qu'à son journal. Toute la narration est d'ailleurs dans le même style, dans un va-et-vient de passé et de futur. On connaît donc parfois des éléments avant même qu'ils ne se soient passés, et nous donnent ainsi un éclairage nouveau. C'est un peu perturbant au début, mais quand on arrive à s'y faire, c'est au final un style agréable à lire (même s'il m'arrivait de retourner en arrière pour vérifier les dates ^^).
L'autre particularité est que le féminin domine également dans les accords : on dit chevale, enfante, ... et on dit "elles" pour un groupe même si un homme est présent. Cela renforce cette impression d'être immergé dans un monde féminin.
De nombreux thèmes sont développés dans ce livre. Le premier et le plus marquant est la hiérarchisation. Seules les Mères des familles sont autorisées à procréer directement avec les hommes. Les autres femmes sont tributaires de l'insémination artificielle. La perpétuation de l’espèce humaine est au centre de toutes les préoccupations, et organise même la vie de tous. Les femmes sont des Vertes de leur enfance à leur adolescence, des Rouges lorsqu'elles sont en âge de porter des enfants, et des Bleues lorsqu'elles ne sont plus fertiles (c'est également la couleur des femmes stériles, comme Lisbeï). Les Rouges doivent porter des enfants tous les deux ans. Les hommes quant à eux sont mis à l'écart au début de leur adolescence, pour les préparer à leur vie de reproducteur. Lorsqu'ils sont des Rouges, ils sont en période de Service, et vont de famille en famille afin de faire des enfants avec la Mère. Ils ne sont pas libres de leurs choix, ils sont Choisis par une famille en fonction de leur lignée, de leur ascendance. Ils sont considérés un peu comme du bétail...
On découvre petit à petit l'histoire du Pays des Mères, et ce qui a mené à l'organisation présente. Au lendemain du cataclysme qui a bouleversé le monde, celle-ci a été prétexte pour les hommes à asservir les femmes : c'était le temps des Harems. Puis les femmes se sont révoltées, et les rôles se sont inversés, et ce fut le temps des Ruches. Celles-ci ont également disparu au profit du Pays des Mères, beaucoup moins violent et équitable que son prédécesseur. On découvre donc ce passé avec lequel doivent vivre les familles aujourd'hui, avec quelques résurgences. Certaines femmes ont également choisi comme "carrière" de faire des fouilles archéologiques, afin de retrouver des lieux préservés du cataclysme. On retrouve ainsi des lieux, des salles enfouies, dont elles ne savent plus à quoi ils servent, mais également des objets, des œuvres d'art et des livres. Car avec le cataclysme, beaucoup de choses ont disparu, comme le savoir acquis il y a longtemps dans tous les domaines : technique, médical,.. qu'elles cherchent à recouvrer. Cela donne lieu a beaucoup de situations de découvertes que l'on vit; nous lecteurs, en spectateurs. On reconnaît certains objets et leurs utilités, alors que les protagonistes elles n'en ont pas la moindre idée. C'est assez sympathique !
L'aspect historique se double d'un aspect religieux très fort. La figure divine que vénère le Pays des Mères, Elli, régit le quotidien de toutes et tous. Les familles suivent Sa Parole en toutes choses. Mais comme on le découvrira avec Lisbeï, des découvertes vont remettre en cause certains aspects de la religion. On découvre en effet le personnage de Garde, une femme qui a amené au soulèvement au temps des Ruches, et qui est considérée comme la fille d'Elli, celle qui a amené Sa Parole . On ne peut pas s'empêcher de faire le rapprochement avec la religion chrétienne, avec Dieu d'une part (Elli) et Jésus (Garde) qui a porté sa parole et la foi aux hommes. Version féminisée là encore ! Mais je ne vous en dévoile pas trop sur ce sujet, c'est un des éléments clé de l'histoire.
Je me rend compte que j'ai beaucoup parlé de ce que contient ce livre, excepté une chose très importante : le personnage principal. On s'attache énormément à Lisbeï. On s'identifie pratiquement à elle, puisque nous partageons ses pensées, ses doutes, ses découvertes... On suit toute son évolution psychologique, de son enfance à sa vie d'adulte, ses progrès dans la compréhension du monde et des relations sociales, choses pour lesquelles elle n'était pas prédisposée. Il y a également une foule de personnages secondaires, qui seront également très attachants, et font toute la force de livre. C'est aussi grâce à eux que Lisbeï se construit. Il y a énormément de passages très émouvants dans ce livre, et j'ai souvent eu la larme à l’œil.
Ça a été une lecture très enrichissante. Cet univers très hiérarchisé nous interroge, on se pose des questions sur les relations entre hommes et femmes, leur statut, et l'égalité. L'aspect religieux/mystique est également très intéressant, surtout quand il est confronté aux recherches archéologiques. On voit les évolutions des croyances, la capacité qu'ont les familles de remettre plus ou moins en question ce qu'elles savaient de leur religion, et en accepter de nouveaux aspects. Et il y a également ces questionnements autour de l'amour et de l'amitié, entre femmes, entre hommes et femmes... Bref, il y a énormément de choses sur lesquelles je me suis arrêtée, sur lesquelles je me suis interrogée. Mais ça va être impossible de parler de tout en un seul article, et puis je pense qu'il vaut mieux en faire l'expérience soi-même, et voir ce que la lecture de ce livre évoque en nous. C'est un livre qui laisse des traces en tout cas.
Je pense que relirais ce livre dans un an ou deux, car je pense que pas mal de choses m'ont échappées. Et maintenant que je me suis habituée au style et à l'orthographe particulière, je pourrais mieux l'apprécier.
Lire les avis des autres Atuaniens : Neph, Olya, Tortoise, Vert, Zahlya.
Commentaires
Ca me fait très plaisir de lire tous ces billets sur ce très beau livre du coup, ravie qu'il t'ait plu (même si tu as raté le créneau pour la LC ^^)
J'ai l'impression qu'on a tous eu du mal à faire nos articles, mais qu'en plus, ils font tous trois km de long :D
C'est vrai en tout cas que c'est une lecture très enrichissante, que ce soit par l'histoire en elle même ou toutes les choses auxquelles ça fait réfléchir.
En tout cas, voilà un livre qui ne laisse pas insensible.
Il me dit quelque chose ce livre. Je me demande si on ne m'en avait pas déjà parlé. Ca m'intrigue, je pense que ça peut me plaire, j'ajoute à ma liste ^^
Toi aussi tu t'es fait charmer par Vert ? ;)
C'est vrai que ce livre n'est pas facile de prime abord, entre la narration, les règles grammaticales et l'univers où l'on plonge entièrement sans trop d'explications...
C'est vrai que ce n'est pas un livre pour se "reposer" mais parfois cela fait du bien de se questionner ^^
(oui, je ne chronique que maintenant car j'ai enfin écrit mon avis)
(oui, je ne commente que maintenant car j'ai enfin écrit mon avis) *
Je ne sais pas comment tu as fait pour écrire ta note si longtemps après ! Si je laisse traîner une chronique plus de deux semaines, ma mémoire de poisson rouge oublie des choses :)
En tout cas je partage ton avis, c'est un livre qui fait réfléchir, et dans le bon sens. Et ça fait vraiment du bien de temps en temps.