gagner_la_guerre.jpgAu bout de dix heures de combat, quand j’ai vu la flotte du Chah flamber d’un bout à l’autre de l’horizon, je me suis dit : « Benvenuto, mon fagot, t’as encore tiré tes os d’un rude merdier. » Sous le commandement de mon patron, le podestat Leonide Ducatore, les galères de la République de Ciudalia venaient d’écraser les escadres du Sublime Souverain de Ressine. La victoire était arrachée, et je croyais que le gros de la tourmente était passé. Je me gourais sévère. Gagner une guerre, c’est bien joli, mais quand il faut partager le butin entre les vainqueurs, et quand ces triomphateurs sont des nobles pourris d’orgueil et d’ambition, le coup de grâce infligé à l’ennemi n’est qu’un amuse-gueule. C’est la curée qui commence. On en vient à regretter les bonnes vieilles batailles rangées et les tueries codifiées selon l’art militaire. Désormais, pour rafler le pactole, c’est au sein de la famille qu’on sort les couteaux. Et il se trouve que les couteaux, justement, c’est plutôt mon rayon… (résumé de l'éditeur Les Moutons électriques)

Soyons clairs, ce livre est un pavé. Et pour lire ces 992 pages (édition de poche), j'ai mis exactement 9 mois. Voilà voilà... En fait (puisqu'il faut bien que je vous raconte ma vie maintenant) j'avais commencé à le lire pendant mes vacances d'été. Et malgré le plaisir que je prenais à ma lecture, une fois arrivée à la moitié, j'ai laissé le bouquin de côté. Ce n'était peut-être pas le livre adapté pour lire sur la plage, il faut bien le dire. Un peu honteuse d'avoir maltraité ce texte magistral (ah enfin, elle parle du contenu !), je l'ai donc repris il y a une semaine pour le finir. Et quelle claque...
Oubliez tout ce que vous avez lu en fantasy jusqu'à présent. Parce que s'il ne fallait garder qu'un livre, ce serait celui-ci. C'est le seul bouquin où un assassin à capuche, des complots politiques, de la magie noire et des elfes peuvent se côtoyer sans que cela pique les yeux. Et c'est le seul bouquin où personne ne te sortira le mot manichéen. Et pour cause, le travail de Jaworski pour construire un univers solide, crédible, incroyablement réel, est époustouflant. On se croirait en pleine Renaissance italienne, dans une Venise flamboyante et vénéneuse...

Il faut dire que le narrateur est particulièrement original et d'un caractère bizarrement rafraîchissant. Benvenuto Gesufal, est un homme de l'ombre, exécuteur des basses oeuvres pour son patron, le brillant et machiavélique Leonide Ducatore, dirigeant de la République. Il est donc bien placé pour nous raconter les ficelles, intrigues, dessous de table et autres meurtres dans les ruelles qui forment le quotidien de la politique ciudalienne... Bref, Benvenuto n'est pas un enfant de coeur : c'est un type au caractère imbuvable, hargneux et violent, qui manie mieux épées et poignards que la poésie lyrique... Il nous raconte donc son histoire à sa façon, de façon acérée et truculente, avec le vocabulaire qui va avec. Avec un portrait pareil, c'est pas le héros que l'on a l'habitude de voir. Et pourtant, c'est difficile de le détester... Dieu sait que je ne suis pas une fan de macabre et de sordide, mais si on m'avait dit que je tremblerai pour cet assassin sans scrupules... Et c'est ça toute la force de Jaworski. On se laisse séduire et complètement embarquer avec Benvenuto, au point d'en oublier à quel point c'est un salaud.

L'histoire est tout aussi magistralement construite, imbriquant histoires politiques, secrets de famille et rivalités frontalières... avec un soupçon de magie noire pour pimenter les choses. Je n'essaierais même pas de résumer ! En tout cas, commencez ce livre, vous ne pourrez plus le lâcher (je ne ferais pas de commentaire, rapport à ce que j'ai dis plus haut, ahem), car on ne sait pas où l'histoire qui nous est contée va nous mener... jusqu'à la toute dernière ligne. Et ça, c'est sacrément fortiche.