Le rêve du renard

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mercredi 16 décembre 2015

La fille flûte et autres fragments de futurs brisés - Paolo Bacigalupi

fille_flute.jpgPaolo Bacigalupi propose dans ce recueil 10 nouvelles, qui comme son nom l'indique, mettent l'accent sur l'avenir de l'humanité. Mais c'est là que ça se gâte... Ce sont des images d'un avenir sombre, un avenir où tout est faussé : technologie utilisée à mauvais escient, déliquescence de la race humaine, destruction des ressources naturelles, perpétuation de la mémoire impossible,... Une chose est sûre, ces nouvelles aussi visionnaires et percutantes soient-elles, sont très dures à lire. La souffrance des personnages est souvent insoutenable, et les avenirs présentés, paraissent vraiment probables.

Certaines nouvelles sont plus mémorables que d'autres, c'est donc de celles-ci dont je vais davantage parler.

La Fille-Flûte : Cette nouvelle qui ouvre le recueil est très étrange et donne froid dans le dos. Dans un système de petits royaumes où la célébrité fait loi, Madame Belari a acheté deux jumelles à qui elle a infligé des opérations de chirurgie esthétiques extrêmes. L'histoire, racontée du point de vue d'une des jeunes filles, nous fait découvrir une créature fragile, soumise à la perversion des plus forts. Son histoire tragique et glaçante, met en évidence le culte de la beauté, l'esclavage et la maltraitance. Je me demande comme l'auteur a eu l'idée de cette histoire...

Peuple de Sable et de Poussière : Dans un avenir post-apocalyptique, les humains sont maintenant génétiquement modifiés pour survivre à la pollution ambiante omniprésente. Se nourrissant même de boue radioactive, ils sont quasiment immortels. Lorsque 3 de ces "humains" trouvent par hasard un chien, une espèce censée ne se trouver plus que dans des zoo, et qui n'aurait jamais du survivre dans ce monde toxique, se pose la question de ce qu'ils vont en faire. Entre égoïsme et insensibilité, cette histoire pose la question de l'essence même de l'humanité, toute compassion est-elle vraiment morte? Une nouvelle qui m'a laissé un goût amer.

Groupe d’Intervention : Les humains ont enfin accédé à leur désir ultime : l'immortalité, grâce à l'invention d'un traitement spécifique. Pour éviter la surpopulation, ces hommes ont désormais totalement renoncé à avoir des enfants. Un enfant est même devenu un parasite dans l'imaginaire collectif, et les quelques femmes qui ont le désir d'en avoir un, doivent prendre la fuite et abandonner leur traitement de régénération. Traquées, elles vivent dans la peur d'être découvertes par le groupe d'intervention, qui sans pitié, résoudra le problème de la façon la plus expéditive qui soit. Une des nouvelles les plus réalistes du recueil. Elle propose une réflexion très forte et intelligente, en nous confrontant au point de vue d'un membre du groupe d'intervention. C'est terrible et vraiment dérangeant.

La Pompe Six : Cette nouvelle clôt avec beaucoup d'efficacité le recueil. On suit le quotidien d'un homme qui travaille à l'entretien des pompes de traitement des eaux usées. Confronté à la panne de la pompe 6 qu'il n'arrive pas à réparer seul, il cherche les personnes qui pourraient avoir les compétences de lui enseigner comment faire. Mais l'entreprise qui a conçu les machines a fermé depuis longtemps, et l'université ne compte plus aucun ingénieur dans sa bibliothèque vide... Et la déliquescence de la société semble également toucher les humains, qui ont le niveau de concentration et de réflexion d'un enfant... Et d'ailleurs, pourquoi n'arrive-il pas à concevoir un enfant avec sa compagne? Cette histoire nous plonge dans une société qui s'est enfoncée dans la facilité, oublieuse de la perpétuation du savoir. Elle pose une vision angoissante et pathétique de notre civilisation...

Ces futurs brisés, comment ne pas y croire? J'ai donc eu beau trouver ces nouvelles magnifiquement écrites, j'ai peiné à finir ce recueil. Ce n'est pas ce que j'ai besoin de lire en ce moment, voire tout court. Dans ma grande naïveté, la lecture reste encore pour moi une échappatoire à la réalité, une fenêtre sur l'ailleurs qui ne serait pas forcément moins sombre, mais davantage porteuse d'espoir. Malgré toute l'intelligence et la plume à l'évidence très engagée de l'auteur, je pense que je passerai mon tour pour ses autres livres. Il nous montre ici avec beaucoup trop d'acuité les erreurs et les travers de nos sociétés actuelles.

vendredi 20 novembre 2015

Les Dépossédés - Ursula Le Guin

depossedes.jpgSur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose. Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde d'où sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ? (Résumé de l'éditeur)

Je poursuis mon exploration du cycle de l'Ekumen d'Ursula Le Guin avec ce gros roman, encore une fois multi-primé. Et si Les Dépossédés a été écrit après La main gauche de la nuit, bizarrement, il se déroule avant (l'ansible, permettant de communiquer instantanément, n'a pas encore été inventé, ou est en bonne voie...). Ce roman peut se lire tout à fait indépendamment des autres romans du cycle, mais à condition de bien s'accrocher. Je ne peux même pas imaginer ne serait-ce qu'effleurer tout ce que l'auteure dit avec une intelligence et une logique extraordinaire, dans cette seule chronique. Il vous faudra donc le lire, vous êtes prévenus.

Ursula Le Guin nous emmène à la découverte de deux planètes jumelles, Anarres et Urras. Urras, planète qui ressemble à la Terre, est riche en ressources naturelles et régie par un gouvernement capitaliste qui confine à la tyrannie. A l'opposé, Anarres, planète quasiment stérile, a été colonisée par des insurgés d'Urras, voulant construire une société fondée sur la liberté, poussée aux limites de l'anarchie. Shevek, physicien et premier anarresti à retourner sur Urras depuis la colonisation, sur le point de mettre au jour une théorie physique sur le Temps qui révolutionnerai le voyage spatial, cristallise grâce à son personnage les problématiques de chaque société.

Quoi de mieux qu'une construction en chapitres alternés pour opposer ces deux systèmes de pensée? Si on est d'abord perdus, les premiers chapitres tournés, la cohérence, ou au moins, la lumière, sur la vie si particulière de Shevek sur Anarres se fait. Et cela devient passionnant. On sent bien sûr une critique à peine voilée de notre société capitaliste, mais sans tomber dans le manichéisme. Car le systéme anarchique d'Urras n'est pas tout rose, dans son rejet de tout individualisme et de l'Autre, poussé à son extrême, même si cela semble effectivement convenir à ses habitants.

Il m'est difficile d'en dire plus, tant le contenu est riche, voire parfois trop quand on touche aux discours sur la physique. Mais il y aurait beaucoup à dire sur l'image du couple et de l'éducation des enfants, la répartition du travail sans réelle formation, ou encore les particularités de langage des anarrestis. Notre attachement au personnage de Shevek, profondément humaniste nous ancre dans le récit et nous fait d'autant plus réfléchir sur les idées que discute l'auteure dans cette histoire. Elle nous offre encore une fois un beau voyage, une utopie pleine d'ambivalence et d'ambiguité. Ce roman est complexe certes, mais son ambiance douce-amère, ses personnages attachants, en font un livre à lire, même pour des non lecteurs de SF.

samedi 7 novembre 2015

Hamlet au paradis - Jo Walton

hamlet_paradis.jpgLondres. 1949. Viola Lark a coupé les ponts avec sa noble famille pour faire carrière dans le théâtre. Quand on lui propose de jouer le rôle-titre dans un Hamlet modernisé où les genres ont été chamboulés, elle n'hésite pas une seconde. Mais l'euphorie est de courte durée, car une des actrices de la troupe vient de mourir dans l'explosion de sa maison de banlieue. Chargé de l'affaire, l'inspecteur Carmichael de Scotland Yard découvre vite que cette explosion n'est pas due à une des nombreuses bombes défectueuses du Blitz. Dans le même temps, Viola va cruellement s'apercevoir qu'elle ne peut échapper ni à la politique ni à sa famille dans une Angleterre qui embrasse la botte allemande et rampe lentement vers un fascisme de plus en plus assumé. (Résumé de l'éditeur)

J'ai adoré le Cercle de Farthing, précédent roman de Jo Walton, et premier volume de la trilogie du Subtil changement. Alors que d'habitude, j'attend sagement que ma bibliothèque achète les romans que je convoite, j'ai préféré aller l'acheter directement chez mon libraire pour l'avoir plus vite entre les mains. Il faut dire que j'étais pressée de retrouver cet univers concocté par l'auteur, qui mêle habilement policier et uchronie. Et si j'ai d'abord été déçue de ne retrouver Daniel et Lucy Kahn, les précédents protagonistes, qu'au détour de quelques phrases, on est rapidement pris dans l'intrigue. Cette dernière est menée de front comme précédemment, à la fois par l'inspecteur Carmichael, que l'on connaît déjà, et par Viola Lark, une actrice de de théâtre.

Quelques semaines après les événements du premier tome, nous retrouvons la situation politique en Angleterre, qui fait partie intégrante de l'intrigue. Et c'est tout l’intérêt du livre, car on pourrait se lasser de la construction similaire au précédent volume. Et pourtant, Jo Walton nous captive dés les premières pages. On retrouve l'inspecteur Carmichael avec grand plaisir, d'autant plus qu'il gagne en épaisseur. On en apprend plus sur son passé, et ses motivations dans son métier : c'est un homme qui aime ce qu'il fait, mais qui doit cacher ce qu'il est réellement au monde... Par opposition à Carmichael, le personnage de Viola Lark paraît plus superficiel. Vivant pour le théâtre, elle est complètement déconnectée des réalités du monde qui l'entoure. S'il est difficile de s'attacher à elle, son personnage est vraiment crédible, et ses points de vue à l'opposé de l'inspecteur nuancent le récit.

Dans cette nouvelle enquête, le côté "mystère à résoudre à tout prix" est moins prégnant, puisque le lecteur a déjà pratiquement tous les éléments à sa disposition au cours de sa lecture. C'est davantage une course contre la montre, dont le dénouement nous échappe encore. La plume toujours aussi efficace et vive de l'auteure nous tient en haleine tout au long du roman, malgré quelques dialogues parfois un peu longs. Mais je la pardonne facilement face à l'ampleur que prend son univers en parallèle. Alors que l'Angleterre glisse lentement sur le même chemin que l'Allemagne, accueillant même Hitler pour une visite diplomatique à Londres (et que Viola trouvera très sympathique...), les conséquences sont nombreuses pour les anglais. Les juifs, les opposants politiques, les homosexuels,... sont les premiers touchés par cette nouvelle politique, mais l'ambiance malsaine qui s'installe touche toutes les classes de population. La délation, les manipulations, les arrestations dans l’intérêt de la sécurité nationale,... L'auteure brosse le portrait d'une société qui trouve des échos effrayants à la notre.

Ce second tome ne me déçoit en aucun cas. J'espérais que l'univers construit par Jo Walton se complexifie, et elle nous offre une situation toute en nuances. Elle évite le manichéisme, chose pas facile quand on a affaire au personnage d'Hitler, nous faisant réagir par de multiples points de vue aux conséquences des actes des personnages. Même si je me suis moins identifiée à ces derniers, Viola en particulier, la plume percutante de l'auteure nous plonge dans le récit, plus sombre, plus violent, que le précédent... Vivement la suite !

mardi 3 novembre 2015

L'arbre d'Halloween - Ray Bradbury

arbre_alloween.jpgPour Halloween, Tom Skelton se déguise en squelette et parcourt la ville avec ses copains, en quête de friandises. Mais cette année, le jeune Joe Pipkin ne les accompagne pas. Où peut-il bien être? Un homme inquiétant finit par leur ouvrir sa porte et va les entraîner dans un bien curieux voyage, de l’Égypte ancienne en Irlande, en passant par Paris et le Mexique, à la découverte des mystères de cette fête des morts. Ainsi, peut-être Tom et ses amis retrouveront-ils leur copain Joe et perceront-ils les secrets de l’Arbre d’Halloween? (Résumé de l'éditeur)

Un petit roman de circonstance en cette fin de mois d'octobre ! Ray Bradbury s'attaque aux origines de la fête d'Halloween, à travers l'histoire de huit enfants. Déguisés qui en sorcière, en squelette ou en momie, ils se réjouissent d'aller frapper aux portes pour récolter des friandises, comme le veut la tradition. Regrettant un peu de ne pas ressentir le grand frisson, ils décident de partir à la découverte d'une maison hantée toute décatie. Et leurs espérances vont se retrouver satisfaites ! Montsuaire, vieux monsieur mystérieux, les interroge sur l'origine de leurs déguisements avant de les emmener pour un voyage à travers l'histoire et le temps....

La plume fantastique de Ray Bradbury nous fait renouer avec les rituels qui entourent la mort à travers les civilisations. Des pyramides d'Egypte en passant par les druides de l'époque celtique, sans oublier El día de los muertos au Mexique, les jeunes protagonistes vont découvrir la symbolique de leurs déguisements. Cette sorte de voyage initiatique prend des dimensions oniriques. On jongle d'une époque à une autre, entre chants et poésies, sans réelle logique. C'est toute la richesse de cette petite histoire, complètement détachée de la réalité, et qui transporte le lecteur dans un rythme endiablé. Exubérant comme ces enfants, le récit virevolte, se joue des codes et des sensations.

Partez donc, si vous l'osez, à la découverte du mystérieux et inquiétant arbre d'Halloween, pour découvrir l'origine des traditions sur la mort, la vie, et les saisons, dont on trouve des résurgences, encore aujourd'hui.

vendredi 30 octobre 2015

Le voyage de Simon Morley - Jack Finney

Voyage-de-Simon-Morley.jpgPour remonter dans le passé lointain, il n'est pas nécessaire d'utiliser une machine à voyager dans le temps. Il suffit de s'imprégner de l'époque dans laquelle on désire se rendre, de se dépouiller de toutes les pensées, comportements qui vous ancrent dans le présent, bref, de se conditionner mentalement et physiquement, pour être projeté dans le temps que l'on croyait perdu. Telle est la théorie du Pr. Danzinger. Informé de ce projet, qui a secrètement l'aval et le soutien logistique du gouvernement américain, Simon Morley doute, hésite... Mais la médiocrité de son existence, la curiosité, et le mystère qui entoure le suicide d'un aïeul de son amie Kate, finissent par le décider. Installé dans un appartement du «Dakota», un vieil immeuble new-yorkais demeuré intact, il va s'y comporter comme un homme de la fin du XIXe, et un soir de neige, après des jours d'efforts et d'attente, le miracle se produit... (Résumé de l'éditeur)

Après avoir terminé Le jeune homme, la mort et le temps de Richard Matheson, j'ai eu envie de continuer à voyager dans le temps, par la seule force de l'esprit ! Le voyage de Simon Morley est paru à l'origine en 1970, a obtenu le Grand Prix de l'Imaginaire en 1994, et a été réédité récemment par Denoël dans la collection Lunes d'encre (les précédentes éditions étant épuisées).

Le titre du roman, Le voyage de Simon Morley, ne comporte pas d'adjectif... Pas d'extraordinaire, ni de merveilleux... Ce qui résume en fait très bien la simplicité de la plume de l'auteur, bien que j'ai une foule de mots qui me viendraient en tête après cette lecture pour le qualifier, ce fameux voyage. Car si Simon Morley est un homme banal (mais sympathique, je vous rassure), l'expérience qu'il vit dans ce livre ne l'est absolument pas, et me laisse encore la tête pleine d'images étourdissantes, et même un peu rêveuse. Lorsque Simon est abordé pour participer à une aventure hors du commun, il ne se doute pas qu'il va laisser derrière lui bien plus que sa petite vie paisible et bien rangée...

« Projeté » à New York en 1882, une époque qu'il a lui-même choisie pour y effectuer une enquête, Simon est bouleversé par l'expérience. Découvrant New York et ses habitants, à une époque qui était pour lui quelques heures avant fantomatique, il relate pour nous, photographies et dessins à l'appui, sa déambulation. Et l'immersion est immédiate. On s'y croirait ! D'observateur, il va peu à peu devenir acteur, à cheval sur le fil de l'Histoire. Jusqu'à ce que l'intrigue se complique d'un complot, de cavalcades, d'incendie, de pots de vin, et d'une histoire d'amour !

Difficile de résumer ce livre dans une chronique, c'est une expérience à vivre en même temps que Simon. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la théorie qui lui permet de voyager dans le temps, avec sa préparation mentale pour s'immerger dans une époque doublée d'auto-hypnose, et parasitée par tous les scrupules de modification de l'Histoire qu'elle engendre. Mais tout ce que je retiens pour l'instant, c'est cette balade contemplative et nostalgique dans une époque révolue. L'auteur en profite pour broder sur les années 70 et ses fléaux, afin de créditer davantage son récit aux yeux du lecteur, et nous prouver que « c'était mieux avant »... (merci pour nous !)

Jack Finney ne nous propose pas ici d'explication scientifique à sa théorie de voyage dans le temps, même si la façon dont elle est exposée paraît vraiment limpide. Pas de machinerie compliquée non plus, et les préparations du héros pour préparer son voyage paraissent même vraiment simplistes, pour une entreprise de cette envergure. Et ces fonds alloués sans sourciller par les agences gouvernementales américaines pour une entreprise qui n'avait pas été prouvée avant l'arrivée de Simon... On pourrait tiquer de nombreuses fois, et surtout sur la question du paradoxe temporel, qui n'est pas poussée assez loin à mon avis... Et pourtant !

Il y a quelque chose des romans de Connie Willis pour cette immersion totale dans une période historique, et on ne peut pas oublier le roman de Richard Matheson pour cette ambiance surannée et pleine de nostalgie qui baigne l'histoire. Jack Finney nous propose ici une histoire vraiment fascinante, prenante, et intelligente. Beaucoup pourront la trouver trop descriptive, mais cela participe de l'immersion, si on choisit de s'abandonner, de se laisser porter dans cette atmosphère mélancolique. L'attachement de Simon à cette autre époque, cette autre ville, ces autres personnes,... qui prennent alors une place plus concrète dans sa vie, donnent un goût vraiment différent à ce roman.

Un récit sur le voyage dans le temps à découvrir absolument ! Documenté, immersif, il entraîne son lecteur dans une aventure qui prend son temps, mais qui tout au long de ses 538 pages, vous bercera d'une atmosphère où joie de vivre et mélancolie cohabitent avec bonheur.

mardi 13 octobre 2015

Le Cercle de Farthing - Jo Walton

cercle_farthing.jpgHuit ans après que «la paix dans l'honneur» a été signée entre l'Angleterre et l'Allemagne, les membres du groupe de Farthing, à l'origine de l'éviction de Churchill et du traité qui a suivi, fin 1941, se réunissent au domaine Eversley pour le week-end. Bien qu'elle se soit mariée avec un Juif, ce qui lui vaut d'habitude d'être tenue à l'écart, Lucy Kahn, née Eversley, fait partie des invités. Les festivités sont vite interrompues par le meurtre de Sir James Thirkie, le principal artisan de la paix avec Adolf Hitler. Sur son cadavre a été laissée en évidence l'étoile jaune de David Kahn. Un meurtre a eu lieu à Farthing et un coupable tout désigné se trouvait sur les lieux du crime. Convaincue de l'innocence de son mari, Lucy trouvera dans le policier chargé de l'enquête, Peter Antony Carmichael, un allié. Mais pourront-ils ensemble infléchir la trajectoire d'un Empire britannique près de verser dans la folie et la haine ? (Résumé de l'éditeur)

Et si, pendant le Seconde Guerre Mondiale, l'Angleterre n'avait pas été le bastion de la résistance européenne? Et si les Etats-Unis, dans l'élan d'une politique isolationniste n'avaient pas soutenu les alliés, laissant Hitler régner sur l'Europe? C'est dans ce contexte politique que Jo Walton place l'intrigue de son roman, mi-policier mi-uchronie, à mille lieues de son précédent livre, Morwenna. Le Cercle de Farthing, point de départ de l'intrigue, est un groupe politique responsable de la paix signée avec l'Allemagne, et de l'éviction de Winston Churchill du pouvoir. C'est au beau milieu d'une partie de campagne avec certains des membres de ce Cercle, que le lecteur fait connaissance avec la difficile situation européenne. Et lorsqu'un crime est commis, les ennemis d'Hitler et du Cercle sont tour à tour pointés du doigt : les juifs et les bolchéviks...

Jo Walton adopte une narration avec un double point de vue pour nous ficeler une enquête aussi prenante que passionnante. Nous suivons donc Lucy, fille de Lord et Lady Eversley, et mariée à un juif (bien malgré sa mère), et l'inspecteur Carmichael, qui avec sa position de policier peine à percer le vernis de l'aristocratie anglaise pour mener à bien son enquête. C'est grâce à ce dernier, fermement décidé à résoudre cette enquête malgré les indices qui semblent le mener par le bout du nez, que le lecteur va essayer de résoudre l'enquête. Mais trahisons, manipulations et dissimulations sont au menu. La bonne société anglaise n'a que peu de temps à perdre avec les interrogatoires d'un inspecteur de Scotland Yard, surtout quand dans un milieu comme celui-là on se sert les coudes, voire on dissimule soigneusement la vérité...

L'auteur a su brosser très soigneusement un cadre so british comme je les aime, à la fois raffiné et cynique, tout en le liant à un univers parallèle très dense et surtout très crédible. Il évolue au fil de la narration, donnant matière à réfléchir au lecteur. La plume de l'auteur, très efficace, alterne les chapitres, nous accrochant au roman. Les personnages secondaires sont bien construits et complexes, mais j'ai adoré suivre les deux narrateurs, qui sont tous les deux extrêmement attachants. Immergés dans ce huis-clos, on suppute avec eux, entre déductions et faux-témoignages, sur l'identité de l'assassin...

J'avais adoré Morwenna, et dans un style très différent, j'ai aussi passé un excellent moment de lecture avec ce roman. Le dénouement, angoissant, laisse planer le doute sur les futures orientations politiques de l'Angleterre. J'ai donc hâte de lire les autres romans de cette trilogie, avec pour personnage principal, l'inspecteur Carmichael. On est pas loin du coup de coeur, je vous le dis !

samedi 3 octobre 2015

Le jeune homme, la mort et le temps - Richard Matheson

jeune_homme_mort_temps.jpgÀ trente-six ans, Richard Collier se sait condamné à brève échéance. Pour tromper son désespoir, il voyage, au hasard, jusqu'à échouer dans un vieil hôtel au bord du Pacifique. Envoûté par cette demeure surannée, il tombe bientôt sous le charme d'un portrait ornant les murs de l'hôtel : celui d'Elise McKenna, une célèbre actrice ayant vécu à la fin du XIXème siècle. La bibliothèque, les archives de l'hôtel lui livrent des bribes de son histoire, et peu à peu la curiosité cède le pas à l'admiration, puis à l'amour. Un amour au-delà de toute logique, si puissant qu'il lui fera traverser le temps pour rejoindre sa bien-aimée.
Mais si l'on ne peut tromper le temps, peut-on tromper la mort ? (Résumé de l'éditeur)

J'ai été agréablement surprise par ce texte, intimiste et touchant, alors que tout ce que je connaissais de Richard Matheson, c'est sa lutte contre les vampires. Si au début, je trouvais que le roman accusait un peu son âge (il a été écrit en 1975, et obtenu le Wolrd Fantasy Award l'année suivante), j'ai rapidement été prise dans cette écriture simple, très descriptive, où l'auteur s'amuse à semer le doute dans notre esprit. Car le cœur de l'histoire repose sur le voyage dans le temps, par la seule force de la pensée de Richard Collier, le narrateur, qui décrit cette expérience dans son journal. Un voyage qui a lieu à cause d'Elise McKenna, une actrice décédée depuis plus de 20 ans. Comment ne pas être sceptique sur la genèse de cette histoire? Tomber amoureux d'une photographie, n'est-ce pas un peu gros?

Et bien, mes doutes se sont vite dissipés. Je suis tombée sous le charme de cette histoire où les émotions de Richard nous emportent. La sincérité, l'intensité de sa démarche est palpable. Elle est sublimée par la période historique choisie par l'auteur, le XIXème siècle, où les relations entre hommes et femmes sont très pudiques et régies par les convenances. Les dialogues entre Richard et Elise prennent donc leur temps, et sont même très nuancés grâce au caractère taciturne de la jeune femme. Un certain féminisme pointe même le bout de son nez, et c'est intelligemment fait.

Mais dés le début du roman, le frère de Richard nous signale qu'il publie ce journal à titre posthume sans y croire, et ses commentaires qui parsèment le texte enfoncent un peu plus le clou. La fin n'est pas là non plus pour nous donner une réponse claire. Richard a t-il vraiment voyagé dans le temps ou n'était-ce qu'un délire psychotique lié à sa tumeur au cerveau? L'auteur a semé le doute tout au long du roman, me donnant même des espoirs qui ont été bien déçus... (Ces 10 mois qu'Elise a passés après sa rencontre avec Richard, elle les a passés seule? Quel crève-cœur...)

Si quelques détails font tiquer, comme les centaines de pages écrites par Richard sur ces deux journées passées au XIXème siècle, Matheson nous livre une histoire de voyage dans le temps, détaillée et crédible. Je suis conquise, et ce roman restera pour moi une des plus belles histoires d'amour que j'aie lu, sous couvert du vernis respectable de mon édition Folio SF... ^_^

vendredi 11 septembre 2015

La planète des singes - Pierre Boulle

planete_singes.jpgY a-t-il des êtres humains ailleurs que dans notre galaxie ? C'est la question que se posent le professeur Antelle, Arthur Levain, son second, et le journaliste Ulysse Mérou, lorsque, de leur vaisseau spatial, ils observent le paysage d'une planète proche de Bételgeuse : on y aperçoit des villes, des routes curieusement semblables à celle de notre terre. Après s'y être posés, les trois hommes découvrent que la planète est habitée par des singes. Ceux-ci s'emparent d'Ulysse Mérou et se livrent sur lui à des expériences. Il faudra que le journaliste fasse, devant les singes, la preuve de son humanité... (Résumé de l'éditeur)

Longtemps abandonné sur son étagère dans ma bibliothèque, je m'attaque enfin à ce classique de science-fiction, pourtant très court. Même s'il a souvent été adapté au cinéma, je n'ai vu aucun des films, et attaque donc ma lecture, libre de tout spoiler. Pour un roman écrit en 1963, le récit n'a pas pris une ride. L'écriture simple, efficace et allant à l'essentiel de Pierre Boulle, m'a tout de suite immergée dans l'histoire. Le voyage de la Terre à Bételgeuse, l’atterrissage sur une planète qui semble habitée d'une espèce intelligente, puis la rencontre avec les humains et les singes, suivi de la capture des 3 terriens... Tout va très vite, dans une économie de pages extraordinaire, qui dit pourtant tout.

Puis les émotions et les expériences avec les singes d'Ulysse Mérou (j'adore ce nom de famille), prennent le pas dans l'histoire. Nous découvrons, presque aussi horrifiés que le narrateur, le sort réservé aux hommes par les singes. L'évolution de la race humaine, a été sur Bételgeuse à l'opposé de celle de la Terre. Mis en cage, testés, analysés,... les hommes de Bételgeuse, primitifs, sont des sujets d'expérience stupides pour les singes. L'intelligence du terrien, comparable à la leur, les plonge donc dans une incompréhension et un désarroi, vite remplacés par un intérêt scientifique. Jusqu'à ce que tout bascule...

L'auteur décortique dans ce roman les comportements humains, tant psychologiques que relatifs à la vie en société, en les appliquant à la race simienne. Les singes parlent, marchent, s'habillent, roulent dans des voitures, sont amoureux et s'embrassent...Tandis que les hommes poussent des borborygmes, vont nus et mangent le produit de leur chasse cru. Tout se chamboule dans la tête du lecteur, habitué à voir les singes comme des animaux. Nous sommes donc mis face à notre propre société, même si elle est inversée, avec ses travers. La bêtise, la folie, la supériorité,... ne sont pas exemptes chez ces nouveaux êtres supérieurs. Mais comment en sont-ils arrivés là?

Ce roman est à mettre entre toutes les mains, tant il est accessible dans son écriture et son contenu. Sa fin, dramatique, est aussi bouleversante qu'elle fait réfléchir.

lundi 3 août 2015

La main gauche de la nuit - Ursula Le Guin

main_gauche_nuit.jpegSur Gethen, la planète glacée que les premiers hommes ont baptisée Hiver, il n'y a ni hommes ni femmes, seulement des êtres humains. Des androgynes qui, dans certaines circonstances, adoptent les caractères de l'un ou l'autre sexe. Les sociétés nombreuses qui se partagent Gethen portent toutes la marque de cette indifférenciation sexuelle. L'Envoyé venu de la Terre, qui passe pour un monstre aux yeux des Géthéniens, parviendra-t-il à leur faire entendre le message de l'Ekumen ? (Résumé de l'éditeur)

Je continue ma découverte du cycle de l'Ekumen, après ma petite déception sur Le monde de Rocannon. La main gauche de la nuit est le roman le plus connu du cycle, et plutôt bien primé : un Hugo et un Nebula ! Indépendant des autres romans au niveau de l'histoire, il est donc en théorie facile à prendre en route. Sauf qu'avec Ursula Le Guin, le lecteur est dépaysé dés les premiers chapitres, et doit bien s'accrocher. On retrouve pourtant bien l'organisation de l'Ekumen, dénominateur commun des romans du cycle, cherchant à créer une alliance pacifique, culturelle et commerciale entre les mondes. On suit dans ce roman Genly Aï, premier envoyé sur la planète Gethen pour tenter de négocier une alliance avec l'Ekumen. Mais sa mission ne sera pas si simple, car il va se heurter à des peuples très différents, à la fois entre eux et d'un point de vue Terrien, tant sur le plan de la religion, de la sociologie que de la biologie...

Gethen est une planète au climat plutôt hostile, rigoureux et glacial.Difficile pour un Terrien d'y vivre sans être en permanence frigorifié. Les Getheniens sont génétiquement très différents des autres humains. Ils sont d'un genre neutre, sauf durant une période d'activité sexuelle, appelée kemma, où ils deviennent homme ou femme, sans que ce rôle ne soit prédéterminé par eux. La virilité de l'envoyé leur pose donc problème, et est même vue comme un sommet de perversité. Difficile également pour Genly de se positionner avec sa personnalité d'homme, face à des personnalités à la fois masculines et féminines... A ces caractéristiques nouvelles pour le lecteur, s'ajoute un jeu diplomatique particulièrement difficile à suivre. J'ai mis un temps fou à comprendre les dialogues énigmatiques des personnages dans les premiers chapitres...

Mais passés les premiers moments d'étrangeté, l'auteure nous embarque complètement dans ce monde, où les civilisations sont très différentes les unes des autres. Le roman se partage d'ailleurs entre le récit de Genly, celui d'un gethenien, et des contes. L'action n'est pas vraiment au centre de l'histoire, des longueurs sont même à prévoir... Mais certains passages sont tellement forts, qu'ils me marqueront à coup sûr pendant longtemps. La fuite de plusieurs mois de Genly avec un gethenien sur un glacier, est particulièrement belle. Car encore une fois, ce que met en avant Ursula Le Guin dans ses romans, c'est l'aventure humaine, l'opposition de deux mondes, et pourtant, ce qui peut les rapprocher.

La main gauche de la nuit est un très beau roman, à la fois complexe et sensible. Ursula Le Guin a vraiment un don pour décrire des univers crédibles et profonds, sans manichéisme.

lundi 6 juillet 2015

Le monde de Rocannon - Ursula Le Guin

monde_de_Rocannon.jpgCette planète sans nom du système stellaire de Fomalhaut est l'enjeu d'un conflit entre la Ligue de tous les mondes et un Ennemi inconnu. Cinq espèces intelligentes se la partagent. Aucune n'a dépassé le niveau féodal. Certaines communiquent par la pensée. Rocannon, ethnologue, y est envoyé par la Ligue afin d'observer les peuples qui l'habitent avant l'arrivée d'une mission technologique qui assurera le développement de la société la mieux placée. Mais l'Ennemi surgit de l'espace avant que le plan ne soit accompli. Avec une poignée de compagnons, Rocannon, devenu Olhor l'Errant, le Seigneur des étoiles, va entreprendre de chasser les envahisseurs. (Résumé de l'éditeur)

J'avais raté le coche de la lecture commune du Cercle d'Atuan, je me rattrape donc ! Premier tome du Cycle de l'Ekumen (ou Cycle de Hain), ce n'est pourtant pas ma première incursion dans cet univers, puisque j'avais jadis déniché chez un bouquiniste Planète d'exil. Je n'en garde qu'un vague souvenir, mais les romans se lisent de façon indépendante, donc je suis sauvée.

Une très jolie nouvelle, Le collier de Semlé, introduit le roman. Elle nous permet de faire la connaissance de Rocannon, un ethnologue qui, marqué par la belle dame aux cheveux d'or, va mêler son destin à ceux des peuples de cette planète. Ces derniers, recensés par la Ligue de tous les mondes, sont tous des espèces intelligentes, même si leur civilisation est peu évoluée. Nous découvrons plus particulièrement le peuple Angyar, race de seigneurs à cheveux blonds, chevauchant des hippogriffes, qui accueille l'ethnologue comme hôte. Après avoir mis fin à l'impôt de la Ligue qui pesait sur eux, et l'apprentissage de technologie, afin que les peuples retrouvent leur indépendance, Rocannon doit faire face à un ennemi imprévu. Son vaisseau détruit, avec son équipe à l'intérieur, l'isole sur la planète, sans possibilité de communication avec la Ligue. Il se retrouve donc à voyager à travers la planète, afin d'identifier l'ennemi : des rebelles.

Le style d'Ursula Le Guin, sans surprise, m'a charmée. C'est de la science-fantasy typique, qui n'a pas cessé de me rappeler Marion Zimmer Bradley et Anne McCaffrey. Sa prose très plaisante, est vraiment particulière, toujours avec un arrière goût d'étrangeté et de nostalgie. Cependant, le texte en lui-même m'a un peu déçue. Malgré sa petite taille, le roman est parfois long, en particulier pendant le périple de Rocannon. Et on a finalement peu de temps pour découvrir plus en détails ces peuples si mystérieux doués de télépathie. Je n'ai donc plus qu'à découvrir d'autres textes de l'auteure, qui reviendront certainement plus en profondeur sur cet antagonisme entre espèces primitives et technologie.

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