depossedes.jpgSur Anarres, les proscrits d'Urras ont édifié, il y a cent soixante-dix ans, une utopie concrète fondée sur la liberté absolue des personnes et la coopération. Ce n'est pas un paradis, car Anarres est un monde pauvre et dur. Mais cela fonctionne. A l'abri d'un isolationnisme impitoyable qui menace maintenant la société anarchiste d'Anarres de sclérose. Pour le physicien anarresti Shevek, la question est simple et terrible. Parviendra-t-il, en se rendant d'Anarres sur Urras, à renverser le mur symbolique qui isole Anarres du reste du monde ? Pourra-t-il faire partager aux habitants d'Urras la promesse dont il est porteur, celle de la liberté vraie ? Que découvrira-t-il enfin sur ce monde d'où sont venus ses ancêtres et que la tradition anarrestie décrit comme un enfer ? (Résumé de l'éditeur)

Je poursuis mon exploration du cycle de l'Ekumen d'Ursula Le Guin avec ce gros roman, encore une fois multi-primé. Et si Les Dépossédés a été écrit après La main gauche de la nuit, bizarrement, il se déroule avant (l'ansible, permettant de communiquer instantanément, n'a pas encore été inventé, ou est en bonne voie...). Ce roman peut se lire tout à fait indépendamment des autres romans du cycle, mais à condition de bien s'accrocher. Je ne peux même pas imaginer ne serait-ce qu'effleurer tout ce que l'auteure dit avec une intelligence et une logique extraordinaire, dans cette seule chronique. Il vous faudra donc le lire, vous êtes prévenus.

Ursula Le Guin nous emmène à la découverte de deux planètes jumelles, Anarres et Urras. Urras, planète qui ressemble à la Terre, est riche en ressources naturelles et régie par un gouvernement capitaliste qui confine à la tyrannie. A l'opposé, Anarres, planète quasiment stérile, a été colonisée par des insurgés d'Urras, voulant construire une société fondée sur la liberté, poussée aux limites de l'anarchie. Shevek, physicien et premier anarresti à retourner sur Urras depuis la colonisation, sur le point de mettre au jour une théorie physique sur le Temps qui révolutionnerai le voyage spatial, cristallise grâce à son personnage les problématiques de chaque société.

Quoi de mieux qu'une construction en chapitres alternés pour opposer ces deux systèmes de pensée? Si on est d'abord perdus, les premiers chapitres tournés, la cohérence, ou au moins, la lumière, sur la vie si particulière de Shevek sur Anarres se fait. Et cela devient passionnant. On sent bien sûr une critique à peine voilée de notre société capitaliste, mais sans tomber dans le manichéisme. Car le systéme anarchique d'Urras n'est pas tout rose, dans son rejet de tout individualisme et de l'Autre, poussé à son extrême, même si cela semble effectivement convenir à ses habitants.

Il m'est difficile d'en dire plus, tant le contenu est riche, voire parfois trop quand on touche aux discours sur la physique. Mais il y aurait beaucoup à dire sur l'image du couple et de l'éducation des enfants, la répartition du travail sans réelle formation, ou encore les particularités de langage des anarrestis. Notre attachement au personnage de Shevek, profondément humaniste nous ancre dans le récit et nous fait d'autant plus réfléchir sur les idées que discute l'auteure dans cette histoire. Elle nous offre encore une fois un beau voyage, une utopie pleine d'ambivalence et d'ambiguité. Ce roman est complexe certes, mais son ambiance douce-amère, ses personnages attachants, en font un livre à lire, même pour des non lecteurs de SF.